Les cages flottantes décimées par une mortalité massive de poissons !
À une trentaine de kilomètres de Cotonou, dans la commune de Ouidah, le lac Toho-Todougba est devenu le théâtre d’un drame silencieux. Depuis plusieurs semaines, les pisciculteurs qui y élèvent des poissons en cages flottantes voient leurs efforts réduits à néant : des milliers de tilapias meurent, asphyxiés. Un phénomène qui fragilise toute une filière, met en péril des investissements importants et soulève des questions de durabilité.
Depuis juillet 2025, la mortalité a repris avec une nouvelle ampleur sur le lac Toho à Ouidah. Chaque matin, les éleveurs ramassent des poissons flottant à la surface, morts pendant la nuit. Sur une barque, les yeux rivés sur la surface trouble du lac, Alain Houndémifo, technicien piscicole rencontré par les confrères de Mongabay Afrique, raconte ses mésaventures. « Dans une journée, il peut avoir entre 15 et 20 poissons morts dans une cage ; parfois 30 ou 40 », confie-t-il. Entre décembre 2024 et mai 2025, il a perdu plus de la moitié de ses stocks. Dans l’une de ses cages, 2 087 poissons avaient été recensés en janvier ; en mai, il n’en restait que 1 117. Dans une autre, plus de 3 500 poissons ont été réduits à 1 500 en l’espace de trois mois.
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La version des pisciculteurs : chaleur et perturbations du lac
Pour de nombreux exploitants, la cause semble évidente : la chaleur. « Le matin, à 8h, on constate les poissons morts en surface », explique Herman Aklassato, employé de la société Wevi-Fisheries Sarl. Le technicien pointe également du doigt les dragages récents du lac, qui auraient « altéré les paramètres » et perturbé l’équilibre de l’écosystème. Son collègue Florent Agbodjinou ajoute qu’ils ont dû modifier les heures d’alimentation des poissons pour s’adapter. « Au lieu de nourrir tôt le matin, nous avons décalé les horaires afin de limiter les pertes ».
D’un autre côté, le phénomène ne surprend pas totalement le président de l’interprofession poisson d’élevage du Bénin (IPEB). Pour lui, ces mortalités s’inscrivent dans une logique connue : le bloom, ce processus naturel qui survient lorsque les nutriments accumulés au fond du lac remontent à la surface. « Cela arrive chaque année. Les plans d’eau du Bénin ne sont pas profonds. Pendant les périodes de bloom, les paramètres de l’eau deviennent défavorables, et des mortalités peuvent survenir aussi bien pour les poissons d’élevage que pour les poissons naturels », explique-t-il.
La solution, selon lui, réside dans une meilleure planification des cycles d’élevage. « Ce sont surtout les gros poissons, qui ont un besoin élevé en oxygène, qui meurent. Nous savons désormais quand ces périodes critiques arrivent. Il suffit d’adapter les productions pour éviter d’avoir des stocks trop avancés à ce moment-là. »
Un problème structurel du lac selon l’analyse scientifique
Pour les chercheurs, la situation dépasse le simple cycle climatique. Le Dr Thierry Agblonon, spécialiste de la pêche et de l’aquaculture, a mené une étude sur le complexe Toho-Todougba il y a un an. Ses conclusions sont alarmantes. « C’est un milieu envasé, avec une épaisse couche de vase recouverte de matière organique. Sa dégradation consomme l’oxygène de l’eau. À certaines périodes, les poissons ne trouvent plus d’oxygène disponible. Dans les cages, où leur mouvement est limité, cela conduit à une asphyxie massive. »
À cette accumulation naturelle s’ajoutent les pressions humaines, par exemple la production maraîchère autour du lac, l’apport excessif de phosphore, la prolifération de phytoplanctons. « Nous avons constaté une eutrophisation avancée. L’eau est saturée de nutriments, ce qui accentue le déficit d’oxygène. C’est un cocktail mortel pour les poissons ». Pour lui, la chaleur évoquée par les pisciculteurs n’est qu’un facteur aggravant. « Une eau chaude dissout moins l’oxygène. Quand vous combinez cette donnée à une matière organique abondante et en décomposition, le résultat est inévitable. C’est la mortalité massive des poissons ».
Des recommandations qui dérangent
Le diagnostic du Dr Agblonon débouche sur des recommandations fermes, parfois difficiles à entendre pour les exploitants. La première est d’interdire toute nouvelle installation piscicole sur le lac Toho. « Sinon, nous allons droit vers un effondrement ». Il plaide également pour un plan de gestion rigoureux des déchets solides et liquides autour du plan d’eau, notamment ceux des unités piscicoles, mais aussi des hôtels et restaurants qui se développent dans la zone. Enfin, il appelle à un dragage régulier pour réduire la charge organique et limiter l’eutrophisation. Ces mesures, si elles sont adoptées, imposeraient un cadre plus strict, mais pourraient aussi sauver le lac d’un déclin irréversible.
Un plan de sauvetage du lac Toho suppose donc des mesures lourdes. Il faut limiter les installations, curer, contrôler les pollutions agricoles, sensibiliser les exploitants. Mais sans volonté politique forte, ces recommandations risquent de rester lettre morte.
Une filière sous pression
La pisciculture en cages flottantes s’est imposée ces dernières années comme une solution pour répondre à la demande croissante en poisson au Bénin. Le lac Toho, avec ses dizaines de cages, représente un investissement conséquent et une source de revenus pour de nombreuses familles.
Mais les mortalités récurrentes mettent en lumière la fragilité du modèle. Chaque perte massive entraîne des faillites potentielles, décourage les investisseurs et alimente une méfiance des jeunes qui s’étaient lancés dans ce secteur.
Au-delà donc de la détresse économique immédiate, c’est la question de la durabilité de cette pratique qui se pose.
Jean-Baptiste HONTONNOU