ACCAPAREMENT DES TERRES ARABLES EN AFRIQUE : Une menace permanente pour la sécurité alimentaire
En Afrique de l’Ouest, les enjeux sont considérables, où l’agriculture emploie 65% de la population, où 36 millions de personnes continuent à souffrir de la faim, et où la production régionale ne parvient pas à répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels d’une population qui dépasse aujourd’hui les 371 millions de personnes, et qui devrait plus que doubler d’ici 2050. Dans un contexte pareil, le fléau de l’accaparement des terres prend d’ampleur laissant des plaies difficiles à cicatriser. Avec des causes non seulement externes mais aussi internes, ce phénomène mérite une éradication durable.
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Jean-Baptiste HONTONNOU
Les chiffres sont alarmants. Ou du moins ahurissants. Dans le monde et plus précisément en Afrique, l’accaparement des terres est un fléau qui prend quotidiennement de grandeur. 203 millions hectares de terres seraient sous le coup sur le plan mondial. Considéré comme le continent le plus touché, 50% des terres soit 25 millions d’hectares ont été accaparées en Afrique.
De façon détaillée, selon les données collectées en 2020, le Burkina Faso vient en tête avec 2 millions 277 000 de surface louée ou vendue avec un pourcentage de 72, 18%. Le Nigéria, le Sénégal, le Mali, le Ghana ainsi que le Bénin ne sont pas en marge de ce problème. Ce dernier aurait loué ou vendu 236 100 hectares de terres soit 0,75%. Contrairement à certains gouvernements, les acteurs agricoles pensent que cette situation est plus que dangereuse. Car, « si d’ici 2030 on pourra atteindre près de 02 milliards d’habitants en Afrique, on doit vraiment commencer à se préoccuper de ces questions qui sont essentielles et qui viennent s’ajouter aux contraintes que vivent déjà le secteur agricole », affirme Septime Houssou-goe, chargé de programme sécurité alimentaire et nutritionnelle de la direction Agriculture et développement rural de la CEDEAO.
Un fléau qui favorise l’insécurité alimentaire
L’accaparement des terres en Afrique de l’Ouest est un phénomène qui contribue grandement à l’insécurité alimentaire dans la région. Généralement, les communautés rurales qui dépendent traditionnellement des terres pour l’agriculture familiale sont souvent dépossédées lorsque des investisseurs, qu’ils soient étrangers ou nationaux, acquièrent des parcelles de terre à grande échelle. Ces agriculteurs perdent leur principal moyen de subsistance, ce qui réduit leur capacité à produire des aliments pour eux-mêmes et pour les marchés locaux. Cette perte d’accès à la terre alimente la pauvreté rurale et réduit la production agricole locale.
Sous un autre angle, les terres accaparées sont souvent converties pour la production de cultures commerciales destinées à l’exportation au lieu de cultures vivrières. Un constat très amer. Cela limite la production locale d’aliments de base (mil, maïs, riz) dont dépend la population. Les produits alimentaires étant principalement destinés à l’exportation, les marchés locaux deviennent plus vulnérables aux pénuries alimentaires.
Au dessus de tout, l’agriculture industrielle pratiquée sur les terres accaparées utilise souvent des techniques intensives en intrants chimiques (pesticides, engrais) qui dégradent les sols, polluent les eaux et réduisent la biodiversité. Ce qui affecte à long terme la capacité des terres à soutenir la production agricole et la pêche locale, menaçant encore plus la sécurité alimentaire.
Les accaparements de terres augmentent également la dépendance aux importations alimentaires. Avec la réduction des terres disponibles pour l’agriculture locale et vivrière, les pays d’Afrique doivent de plus en plus compter sur les importations alimentaires pour nourrir leurs populations. Cette dépendance rend les pays vulnérables aux fluctuations des prix sur les marchés mondiaux, rendant l’alimentation moins accessible pour les populations les plus pauvres.
La solution à portée de main
Dans une situation pareille, des impératifs s’imposent. Dans plusieurs pays, les politiques ne sont pas favorables à la lutte. Pour Euden Koumassou Dossou, Secrétaire Général Adjoint de l’Union des ingénieurs agronomes d’Afrique, « il faut donc contrôler les politiques qui permettent cet accaparement de terre, car elles mettent en péril l’agriculture familiale, garante de notre souveraineté alimentaire ».
Il est donc impérieux de renforcer en Afrique les cadres juridiques nationaux pour protéger les droits fonciers des communautés locales. Les gouvernements doivent prioriser les titres de propriété communautaires et assurer une transparence dans les transactions foncières. C’est en cela qu’Henri Gbone, Président de la Commission Agriculture, Économie Rurale et Ressources Naturelles du Parlement Panafricain en Afrique du Sud affirme qu’il « faut que nos états prennent des mesurent législatives et réglementaires pour encadrer le processus des accaparements de terres. Car, pour le moment, l’investisseur débarque avec sa valise remplie de billets craquants et fait ses opérations avec le paysan qui ne connait rien des négociations financières. Il lui donne des miettes d’argent et s’en va. Alors que si le processus était réglementé par l’Etat et que des structures sont mis en place pour comprendre comment ces opérations se déroulent du début jusqu’à la fin, on limitera la casse ».
Aussi, « pour garantir la souveraineté alimentaire en Afrique, il est impératif de reconstruire nos modèles de développement agricole actuellement en place. Il est temps d’adopter un mode plus inclusif, durable centré sur les besoins des populations locales encourageant la diversification des cultures et la protection de la biodiversité », selon Abdelali Moutaouekkel, Président de l’Union des ingénieurs agronomes d’Afrique.
Pour finir, les investisseurs étrangers et locaux doivent être tenus à des normes de responsabilité sociale pour garantir que leurs projets profitent aux communautés environnantes, notamment par le biais de partenariats équitables. La participation des communautés rurales dans la gestion des terres doit être encouragée, notamment via des consultations préalables et informées, pour qu’elles aient voix au chapitre sur l’utilisation de leurs terres.