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1er groupe de presse agricole en Afrique de l’Ouest

DIVINITÉS ET PROTECTION DES ESPACES NATURELS : « Sans elles, peut-être qu’on aurait déjà tout perdu », Dr Georges NOBIME

 DIVINITÉS ET PROTECTION DES ESPACES NATURELS : « Sans elles, peut-être qu’on aurait déjà tout perdu », Dr Georges NOBIME

Dans de nombreuses cultures, les divinités occupent une place centrale dans la relation entre l’homme et la nature. Elles sont souvent associées à la terre, à l’eau, aux plantes et bien d’autres ressources naturelles au vu de leur capacité à protéger et à préserver ces dernières. Nous nous sommes rapprochés d’un spécialiste pour savoir comment elles continuent d’assurer leur rôle de gardiennes de nature.

Dr Georges NOBIME, Enseignant Chercheur au Département de Géographie et Aménagement du territoire à l’Université d’Abomey-Calavi

 

LE RURAL : Qu’est-ce qu’on peut comprendre par ressources naturelles ?

Dr NOBIME : Il faut savoir que c’est tout ce qui existe dans l’environnement, de façon naturelle, pas artificiel, que l’homme peut utiliser pour satisfaire ses besoins. Par exemple, une plante, un arbre, un animal ou un cours d’eau. On peut considérer même ce qu’il y a à l’intérieur du sol comme naturel. Par exemple, le fer, le pétrole etc.

  • Culture, spiritualité et l’environnement, y a-t-il un lien entre ces trois ?

Oui, il y en a. Il y a des régions au Bénin ici où on dit qu’à tel jour, on ne va pas labourer le champ. Certes, on va trouver avec nos yeux de maintenant que c’est de n’importe quoi, mais quand la communauté le dit, elle a ses raisons. Peut-être que c’est pour ne pas abuser de l’espace géographique, pour ne pas cultiver tout l’espace géographique, il faut laisser au moins la terre se reposer. Dans le même temps, on dit telle plante, vous ne devez pas l’utiliser ou avant de l’utiliser, il faut s’adresser à telle divinité. Les communautés savent que c’est une façon pour elles de gérer les ressources naturelles et il faut les comprendre.

  • Existe-t-il des zones protégées qui sont considérées comme sacrées en raison de leur association avec des divinités ou des forces spirituelles ?

Nous en avons plusieurs. On appelle forêt sacrée, tout milieu naturel où il y a la présence d’une divinité. Et cette forêt sacrée est suffisamment conservée par les communautés locales. Certes, il y a les religions importées, surtout le christianisme, qui fait qu’il y a des individus qui ne croient plus à ces réalités endogènes. Mais tout compte fait, nous avons encore beaucoup d’endroits qui sont sacrés et qui regorgent de plusieurs ressources naturelles.

  • Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

Au Bénin, nous avons la forêt sacrée de Kikélé dans la commune de Bassila. Ce qui fait qu’elle nous est chère, c’est qu’elle abrite en son sein une espèce de primate, qui est une espèce menacée. Dans cette forêt, il y a également l’espèce animale de colobus qui aussi est sacrée, parce qu’il y a des communautés qui trouvent que ces individus de singes sont les représentants de leur famille. Nous avons la forêt sacrée qui est à Gnanwizoumè à Bonou. Dans cette forêt, il y a la divinité Gnanwi.

Nous avons Hlanzoun qu’on appelle la forêt marécageuse de Lokoli. Si cette forêt tient encore, c’est à cause de la divinité qui s’y trouve. Ce qui fait que les gens savent qu’on ne doit pas porter atteinte à cette forêt, il faut la préserver. Nous avons plusieurs forêts sacrées au Bénin. Même la forêt sacrée qu’on appelle Kpassè à Ouidah. Si elle tient encore le coup, c’est à cause du fait qu’elle soit sacrée. Ce qui fait que les gens ont du mal à se hasarder à couper les arbres ou tuer les animaux. Ce que nous considérons au Bénin comme vraie forêt sacrée, c’est celle de la divinité Oro. Tout le monde sait qu’il ne faut pas s’y approcher.

  • Seuls les initiés des divinités peuvent gérer ces forêts ?

Pendant longtemps, ce sont les initiés et les prêtres de ces divinités qui gèrent ces forêts. Depuis un certain nombre d’années, l’état béninois a voulu aider ces communautés à mieux gérer ces forêts sacrées. Ainsi, il y a eu beaucoup de travaux qui sont faits par rapport aux forêts sacrées au niveau national, pour les intégrer dans le système des aires protégées du Bénin. Ce n’est pas pour arracher les forêts aux communautés locales, mais pour les appuyer dans ce qu’ils font déjà pour la conservation de cette forêt.

  • Est-ce qu’il existe des rituels liés à la protection de l’environnement qui sont associés à des divinités ?

Oui, il y en a. Par exemple, au niveau des mangroves, à Grand Popo, il y a l’ONG Nature Tropicale et l’ONG Eco-Bénin qui font des efforts pour que ces mangroves soient protégées, conservées et pour qu’il n’y ait pas de coupe de ces mangroves. Et pour ça, ces ONGs ont associé la divinité Zangbéto. La communauté locale a été associée, mais avec l’aide de la divinité Zangbéto pour pouvoir protéger cette mangrove. C’est l’exemple parfait qu’une divinité ou les divinités peuvent nous aider à protéger les ressources naturelles.

  • Comment vous les géographes, les spécialistes et d’autres chercheurs peuvent aider à mieux comprendre et à valoriser le rôle des divinités dans la protection des ressources naturelles ?

Tout ce qu’on peut faire, il faut pouvoir partager l’information ; montrer que la divinité peut nous aider à protéger les ressources naturelles. C’est déjà le grand pas. Les communautés sont prêtes à pouvoir nous accepter à préserver ces ressources naturelles. Parfois, il manque suffisamment d’arguments ou de moyens pour faire ce travail. Nous, scientifiques ou universitaires, c’est de leur dire que la chose est possible et que l’État a pris des garde-fous, a déjà  les textes qu’il faut pour que tous ces endroits qui sont des lieux sacrés puissent être protégés de façon légale. Donc, si ces communautés peuvent encore utiliser les divinités pour la protection, ce n’est qu’une bonne chose.

  • Votre mot de la fin

Les divinités ont un grand rôle dans la protection des ressources naturelles. Si beaucoup de ressources existent encore de nos jours, c’est parce que les divinités ont été à la base de leur protection. Beaucoup de forêts sacrées regorgent des spécimens, que ce soit des plantes ou des animaux, qui ne sont plus dans les autres endroits et c’est seulement dans ces forêts sacrées qu’on peut les retrouver, simplement parce que les divinités sont associées. Ce qui a baissé un peu l’ardeur des braconniers et de ceux qui déboisent les forêts. Donc, on peut dire que les divinités ont joué un rôle important dans la conservation des ressources biologiques et dans la conservation des ressources naturelles. Grâce à elles, nous avons encore des ressources qui existent et que nous pouvons nous vanter. Sans elles, peut-être qu’on aurait déjà tout perdu.

Propos recueillis et transcrits par Rébécca Kafoui KANSOU

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