La dégradation des sols en Afrique de l’Ouest est devenu une préoccupation majeure tant pour les paysans que pour les acteurs institutionnels. Avec Thibault Soyez, Agronome et responsable de projets à la Fondation FARM, votre journal vous propose de découvrir la situation actuelle de la fertilité des sols en Afrique de l’Ouest.
- Selon vous, qu’est-ce que l’on peut dire de la situation actuelle de la fertilité des sols en Afrique de l’Ouest ?
Tout d’abord, il faut pouvoir définir ce qu’est la fertilité : elle désigne la capacité d’un sol à fournir les conditions physiques, chimiques et biologiques nécessaires pour soutenir la croissance des plantes et leur productivité. Il s’agit d’un concept multidimensionnel qui dépend des contextes agronomiques. Il est essentiel de renouveler cette capacité pour maintenir la production. Le renouvellement de la fertilité des sols repose sur des processus naturels (décomposition de matière organique, recyclage des nutriments) et des pratiques agricoles comme l’utilisation d’engrais organiques ou minéraux, les rotations de cultures ou encore l’agroforesterie.
La matière organique est également un pilier clé de la fertilité des sols car elle agit comme un lien entre ses différentes composantes. Elle influe sur les cycles géochimiques des nutriments, la rétention de l’eau et la stabilité structurale. Ces différentes composantes de la fertilité d’un sol agissent en interaction les unes avec les autres.
Ce qu’on peut d’ores et déjà dire, c’est que l’Afrique de l’Ouest compte majoritairement des sols âgés, c’est-à-dire des sols profonds dont la pédogénèse (formation) est ancienne et dont les minéraux ont été fortement lessivés (déplacement vertical des particules solides du sol, en particulier les argiles) ou lixiviés (déplacement des éléments solubles du sol, notamment les éléments minéraux). Ces sols ont un pH acide à faiblement acide qui retiennent peu les éléments minéraux et qui présentent de faibles teneurs en matière organique. Les propriétés naturelles des sols de la zone ouest-africaine expliquent, au moins en partie, leur faible performance initiale sur le plan de la fertilité. Cependant, l’état d’un sol et de sa fertilité reposent aussi sur ses usages et sur l’agro-système qui l’occupe.
La dégradation des sols ouest-africains est le produit d’une combinaison de facteurs qui sont arrivés de manière simultanée : une succession de sécheresses dès les années 1960, combiné à des crises économiques et politiques et cela dans un contexte de forte croissance démographique qui a finalement abouti à un déséquilibre entre les éléments minéraux consommés par les cultures et les apports qui sont faits par les producteurs.
Ces événements combinés ont amené à une dégradation progressive de toutes les composantes de la fertilité des sols (chimique, physique et biologique) et ont fragilisé un équilibre agricole autrefois maintenu par des pratiques comme l’agriculture itinérante, l’association agriculture-élevage ou l’agroforesterie. Aujourd’hui ce sont près de 65% des terres agricoles du continent qui sont dégradées selon la Banque Mondiale et près de 25% en état de dégradation sévère selon la FAO.
- Quel rôle les paysans ont à jouer pour renouveler la fertilité de leurs sols ?
Face à la diminution progressive de la disponibilité en éléments minéraux essentiels, un apport d’engrais minéraux adapté aux sols et aux plantes demeure actuellement nécessaire pour éviter l’épuisement des réserves du sol. Cet apport, encore trop faible aujourd’hui (15 kg/ha en moyenne en Afrique de l’Ouest contre 120 kg/ha de moyenne dans le reste du monde). Il est cependant conditionné à la capacité des producteurs d’accéder physiquement et économiquement à des engrais souvent importés et subventionnés.
Pour préserver la structure du sol et optimiser l’efficacité des apports minéraux, il est également nécessaire d’incorporer de la matière organique. L’apport de matière organique est rendu possible notamment par l’usage d’engrais organiques, fabriqués sur l’exploitation comme le compost ou le fumier par exemple, ou bien par des produits organiques issus du circuit industriel. Cette approche, combinant engrais minéraux et organiques, est connue sous le nom de fertilisation organo-minérale.
Au-delà de cette méthode de fertilisation, les pratiques agricoles jouent un rôle déterminant dans le renouvellement de la fertilité des sols. Parmi ces approches, on retrouve par exemple les pratiques présentées plus haut comme les associations et rotations de culture à base de légumineuses, l’agroforesterie, l’enfouissement des résidus de culture, etc. La mise en œuvre durable et efficace de ces pratiques nécessite cependant une attention particulière à la formation et à l’accompagnement des producteurs, du fait des caractéristiques particulières et des possibilités économiques et agronomiques de chaque exploitation.
L’association de la fertilisation organo-minérale avec des pratiques agroécologiques adaptées participera aussi à la restauration et au maintien de la fertilité des sols ouest-africains. Cette approche intégrée vise à concilier les besoins nutritionnels des cultures avec la préservation à long terme de la santé des sols, à condition de garantir la viabilité économique des exploitations.
- En conclusion, quelles sont les perspectives pour le renouvellement de la fertilité des sols en Afrique de l’ouest ?
L’augmentation des prélèvements d’éléments nutritifs dans les sols résultant d’une intensification des systèmes de production dans de nombreuses régions d’Afrique de l’Ouest, couplée à la réduction des temps de jachère et à la modification des parcours pastoraux, ne permet plus un renouvellement durable de la fertilité.
L’enjeu principal ne se situe pourtant pas dans l’identification de nouvelles pratiques qui sont déjà connues des producteurs (agroécologie et fertilisation organo-minérale), mais dans leur mise à l’échelle et leur viabilité économique au niveau des exploitations agricoles.
Le défi réside également dans la disponibilité tant géographique qu’économique des engrais minéraux et la disponibilité d’une matière organique de qualité. Sur le plan géographique, les réseaux de distribution d’engrais minéraux sont encore en développement, limitant leur accès dans certaines régions. De plus, la rupture de l’association traditionnelle entre agriculture et élevage a réduit l’accès des agriculteurs au fumier, les contraignant à produire leur propre compost, souvent de qualité inférieure en raison de mauvaises conditions de stockage. Sur le plan économique, l’Afrique de l’Ouest reste fortement dépendante des importations d’engrais minéraux NPK, ce qui expose la région à la volatilité du marché international, les prix des engrais ayant triplé depuis début 2020.
En outre, la filière de production d’engrais organiques locaux est encore émergente et nécessite des investissements pour se développer ainsi qu’un cadre règlementaire cohérent. Des initiatives sont en cours pour promouvoir la production locale et régionale d’engrais organiques et minéraux, ainsi que pour dynamiser le commerce intrarégional. Cependant, face aux besoins, les efforts à fournir sont encore immenses pour répondre aux besoins croissants en fertilisants et réduire la dépendance aux importations.
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