La révolution silencieuse des boulangeries béninoises
Dans un pays où le pain à base de blé s’est imposé comme aliment de base, malgré les troubles digestifs et les allergies au gluten qu’il peut provoquer, une révolution douce, mais déterminée, est en marche dans les boulangeries béninoises. Elle repose sur une innovation locale : la fabrication du pain à base de farine de manioc. De plus en plus de boulangers, motivés par des raisons économiques, sanitaires et patriotiques, s’y intéressent et s’y engagent.
Couscous, pancakes, crêpes, gâteaux, biscuits, beignets ou galettes, tous ces produits, traditionnellement préparés avec du blé, peuvent désormais être réalisés à partir de farine de manioc. Cette transition n’est pas le fruit d’un simple effet de mode, mais d’une prise de conscience née de crises successives. La pandémie de Covid-19 et le conflit entre l’Ukraine et la Russie ont profondément perturbé l’approvisionnement mondial en blé, révélant la dépendance totale du Bénin vis-à-vis de cette matière première importée.
« Quand la Covid-19 est arrivée, les boulangers du Bénin se souviennent encore des difficultés d’approvisionnement en blé. Ensuite, le conflit entre l’Ukraine et la Russie a montré notre dépendance à 100 %. Dès qu’il y a un problème sur la ligne, tout s’arrête », explique Émile Dandjinou, fondateur de la Boulangerie David Fèvre. Aujourd’hui, il fait partie des artisans pionniers de cette révolution. « À la formation, on nous a appris à faire le pain classique. Mais avec le temps, j’ai compris qu’on pouvait produire autrement. Nous faisons désormais des gâteaux 100 % à base de pâte douce de manioc, sans une seule once de farine de blé. C’est possible, et cela permet à nos agriculteurs de mieux vivre de leur travail », ajoute-t-il.
Au-delà de l’innovation, cette démarche s’inscrit dans une véritable logique de souveraineté alimentaire : produire et consommer local, tout en soutenant les filières agricoles nationales.
Le manioc, une ressource stratégique et patriotique
Souvent sous-estimé, le manioc possède de nombreuses vertus nutritionnelles. Abondant, accessible et transformable, il s’impose aujourd’hui comme une ressource stratégique pour réduire les importations, créer de la valeur ajoutée locale et dynamiser l’économie rurale. Selon Prudencia Acakpo, nutritionniste-diététiste, « le manioc est un tubercule riche en glucides, en fibres et en vitamine C. Il contient aussi du potassium, du fer et quelques traces de protéines. Grâce à sa teneur en fibres, il ralentit l’absorption du sucre et convient donc aux personnes diabétiques. »
Le manioc favorise aussi une meilleure digestion, renforce l’immunité grâce à ses antioxydants et soulage certains troubles tels que la diarrhée ou la constipation. Cependant, la spécialiste nuance : « Le pain de manioc n’est bénéfique que s’il est fabriqué avec une farine non raffinée, contenant toutes ses fibres naturelles. Sinon, il perd ses vertus et devient un simple apport sucré. »
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Un levier économique et social pour le monde rural
Les avantages du pain de manioc dépassent la dimension nutritionnelle. Ils concernent également l’économie et la stabilité du marché agricole. « Si une politique nationale encourageait réellement l’incorporation du manioc et d’autres tubercules dans la panification, cela permettrait d’écouler les récoltes locales, d’éviter les pertes post-récolte et de faire tourner l’économie rurale. Ce serait un levier puissant pour nos producteurs », plaide encore Émile Dandjinou.
Une telle politique, appuyée par une meilleure organisation de la filière, un soutien technique aux boulangers et une sensibilisation des consommateurs, pourrait faire du pain de manioc un véritable symbole de la résilience alimentaire béninoise.
La transition est encore en marche, mais elle porte déjà l’espoir d’un changement durable. Moins dépendant des importations, plus sain et économiquement viable, le pain de manioc incarne une innovation à la fois culinaire, économique et patriotique. Loin d’être un simple produit de substitution, il symbolise un Bénin qui croit en ses ressources et façonne, jour après jour, le goût de son indépendance alimentaire. Reste à savoir si les consommateurs béninois, eux aussi, joueront pleinement le jeu en intégrant ce produit révolutionnaire dans leurs habitudes.
Vignon Justin ADANDE


