MÉCONNAISSANCE DU CADRE JURIDIQUE

La grande majorité des pisciculteurs évolue en marge de la législation, souvent sans même en avoir conscience. Est-ce un décalage profond entre le cadre juridique en vigueur et les pratiques quotidiennes sur le terrain ?

Un défi pour le développement de l’aquaculture au Bénin

L’aquaculture béninoise connaît depuis une dizaine d’années une croissance remarquable. Sur les berges des rivières, au cœur des périmètres irrigués ou dans les villages lacustres, des milliers de producteurs élèvent du poisson-chats africains, du tilapia ou expérimentent de nouvelles espèces pour répondre à la demande nationale. Ce secteur stratégique, qui contribue à la sécurité alimentaire et à la création d’emplois, représente un véritable moteur économique pour de nombreuses communes. Pourtant, derrière cette dynamique encourageante, un problème structurel mine le développement de la filière. La grande majorité des pisciculteurs évolue en marge de la législation, souvent sans même en avoir conscience. Est-ce un décalage profond entre le cadre juridique en vigueur et les pratiques quotidiennes sur le terrain ?

La grande majorité des pisciculteurs évolue en marge de la législation, souvent sans même en avoir conscience. Est-ce un décalage profond entre le cadre juridique en vigueur et les pratiques quotidiennes sur le terrain ?

Un cadre légal strict, mais méconnu des producteurs

Au Bénin, l’aquaculture est pourtant strictement réglementée. Le cadre légal repose sur des textes principaux : la loi n°2014-19 du 7 août 2014 relative à la pêche et à l’aquaculture ; le décret N° 2023-341 du 05 juillet 2023 portant autorisations requises pour certaines techniques de pêche et d’aquaculture dans la zone littorale, détaillant les procédures d’autorisation, les documents à fournir, les modalités de contrôle et les normes sanitaires en application des dispositions de l’article 16 de la loi n°2018-10 du 02 juillet 2018 portant protection, aménagement et mise en valeur de la zone littorale en République du Bénin.

En effet, le secteur n’est donc pas en vogue. L’enregistrement de tout pisciculteur et la tenue d’un registre de production sont une obligation. Les textes d’application exigent également que les pisciculteurs fournissent des informations précises, notamment la localisation de la ferme, la superficie, la capacité de production, le type d’élevage, les sources d’eau, les intrants utilisés et les mesures de protection environnementale.

Une fois autorisés, les producteurs doivent respecter des normes strictes, notamment la qualité de l’eau, la gestion des effluents, la densité d’empoissonnement, l’hygiène, la biosécurité, la traçabilité des aliments et des traitements utilisés contre les maladies. Ensemble, ces textes constituent un arsenal juridique complet qui encadre l’activité, protège les ressources naturelles et oriente le secteur vers une exploitation durable. Ils définissent également les droits et obligations des producteurs, ainsi que les sanctions en cas de non-respect.

Décret N° 2023-341 du 05 juillet 2023

Selon l’article 3 du décret N° 2023-341 du 05 juillet 2023, la pratique des activités de pêche ou d’aquaculture à titre professionnel dans la zone littorale est subordonnée à la détention d’une autorisation de pêche. Et l’article 4 du même décret affirme que « l’autorisation de pêche est octroyée par le ministre chargé de la Pêche à toute personne physique ou morale de droit privé de nationalité béninoise désirant pratiquer la pêche et l’aquaculture à titre professionnel dans la zone littorale. L’autorisation de pêche regroupe : le permis de pêche ; la licence de pêche ; l’agrément de concession de pêche. Des autorisations spéciales peuvent être délivrées en cas de besoin. Les autorisations de pêche obéissent aux lois et règlements en vigueur. »

Lire aussi : NIGERIA : La contrebande de riz en provenance du Bénin met en difficulté les transformateurs locaux

Les pisciculteurs ne maîtrisent pas le cadre légal

Pourtant, une grande majorité des acteurs de terrain ignore l’existence de ces obligations. Un diagnostic réalisé par la Direction du Renforcement de Capacités des Acteurs a montré que plus de 70 % des pisciculteurs ne maîtrisent ni les lois, ni le décret, ni les arrêtés régissant leur activité. Certains n’ont jamais consulté un seul document officiel depuis le début de leur exploitation. Plusieurs producteurs interrogés reconnaissent travaillés depuis des années sans autorisation, sans enregistrement, sans registre de production et sans traçabilité claire de leurs intrants. « Nous naviguons sans boussole », confie Francine Bocovo, Piscicultrice. « Je produis depuis longtemps, mais je ne connaissais pas ces textes. Je ne savais même pas qu’il fallait une autorisation », a fait savoir Alfred Houndote, piscicultrice.

Cette méconnaissance s’explique par plusieurs facteurs, notamment manque de sensibilisation, éloignement des services techniques, absence de formations accessibles, et parfois une idée erronée selon laquelle l’aquaculture est une activité libre qui ne nécessite pas de formalisme administratif. Pour un pisciculteur anonyme, « Si nous nous conformons aux exigences, l’État va nous taxer. Or, on ne gagne pas encore comme cela se doit », a avoué, un pisciculteur sous anonymat.

Sanctions, enjeux économiques 

Cette situation n’est pas sans conséquences. Sur le plan juridique, les pisciculteurs non conformes risquent des sanctions lourdes : fermeture administrative, amende, suspension d’activité, poursuites en cas de récidive ou interdiction temporaire de pratiquer. L’Article 14 dudit décret, affirme que : « L’administration en charge de la Pêche peut transiger pour les infractions avant la saisine du tribunal si le mis en cause en fait la demande. Le cas échéant, la transaction est établie par une commission créée à cet effet par le directeur chargé des Pêches.

Les modalités de la transaction sont déterminées par la commission conformément à la règlementation en vigueur et les ressources issues de la transaction sont versées au Trésor public. Le montant des transactions est acquitté dans les délais fixés dans l’acte de transaction. A défaut, l’action en justice est engagée. Un arrêté conjoint des ministres chargés des Finances et de la Pêche fixe les critères et les barèmes des montants des transactions. »

Sur le plan économique, la non-conformité prive les producteurs d’aides financières, de subventions ciblées, de crédits agricoles spécialisés et d’un accès facilité aux intrants améliorés. Mieux, d’après les textes, un exploitant sans autorisation ne peut ni exercer légalement, ni bénéficier d’un quelconque appui de l’État ou de ses partenaires.« L’ATDA 7, les projets gouvernementaux et les programmes financés par la FAO, la BAD ou le PNUD ne peuvent travailler qu’avec des fermes reconnues officiellement » a confirméle Chef Programme Aquaculture ATDA 7, Eugène DESSOUASSI.

Par ailleurs, elle les écarte également des circuits commerciaux plus lucratifs comme les hôtels, les grandes surfaces ou les exportations, qui exigent une traçabilité rigoureuse. Ne pas se mettre en règle, c’est donc s’auto-exclure des opportunités les plus importantes du secteur.

Les risques environnementaux

Les risques sanitaires et environnementaux sont tout aussi préoccupants. L’absence de normes dans certaines fermes favorise le développement de maladies, la mortalité des poissons, la contamination de l’eau ou l’utilisation non contrôlée de produits chimiques et d’aliments de qualité douteuse. Ces pratiques peuvent non seulement affecter la santé publique, mais aussi compromettre des années d’efforts de développement aquacole.

Les bassins mal construits et les densités d’élevage excessives entraînent des pollutions localisées, des nuisances pour les communautés environnantes et des perturbations écologiques durables. Une exploitation non réglementée met également en danger la productivité elle-même : baisse de rendement, croissance irrégulière des poissons, pertes financières, difficultés à obtenir des intrants de qualité ou à répondre aux exigences des acheteurs formels.

Pourtant, se conformer aux textes offre de nombreux avantages. Sur le plan juridique, l’exploitant conforme bénéficie d’un statut officiel, d’un environnement sécurisé pour ses investissements et d’une protection en cas de litige. Sur le plan technique, les normes imposées permettent de produire un poisson de meilleure qualité, de réduire les mortalités, d’améliorer les rendements et d’accroître durablement la rentabilité.

« Les producteurs enregistrés bénéficient également d’une meilleure visibilité auprès des acheteurs institutionnels et des grandes surfaces, qui privilégient les exploitations traçables et conformes. » A martelé Chef Aquaculture ATDA 7,Eugène Dessouassi.  il poursuit en affirmant que la conformité est un préalable indispensable à l’organisation professionnelle du secteur, à la création de coopératives solides et à l’accès aux marchés régionaux ou internationaux.

Une transition indispensable pour l’avenir de la filière

Face à cette situation, il urge que producteurs se mettent à jour. Ceci appelle à une véritable prise de conscience. Pour Eugène Dessouassi, seuls les exploitants en règle pourront désormais bénéficier des programmes d’appui et des interventions publiques. Les pisciculteurs sont invités à se rapprocher des services techniques, à s’informer sur les textes, à demander les autorisations nécessaires, à tenir un registre de production et à se conformer aux normes en vigueur. Les aquaculteurs eux-mêmes reconnaissent l’urgence : « Nous devons nous approprier la loi, l’assimiler et l’appliquer », estime un producteur du Zou. Il a ajouté que « C’est la seule manière de protéger nos fermes et de participer au développement du secteur. »

L’avenir de l’aquaculture béninoise dépend largement de cette transition vers la conformité. Le cadre légal existe, les opportunités aussi. Et le gouvernement à travers l’ATDA 7 travaille pour sensibiliser les acteurs. Le défi est dorénavant de faire en sorte que chaque pisciculteur, du plus petit au plus grand, s’approprie les textes et en fasse un outil de progrès. C’est à ce prix que l’aquaculture béninoise pourra devenir un secteur moderne, compétitif et durable.

Vignon Justin ADANDE

Share the Post:

Articles Similaires

La coccidiose, provoquée par des parasites appelés coccidies, entraîne diarrhées, amaigrissement et parfois mort chez les jeunes animaux.

LUTTE CONTRE LA COCCIDIOSE

Un impératif pour protéger les élevages La coccidiose, provoquée par des parasites appelés coccidies, entraîne diarrhées, amaigrissement et parfois mort

Lire PLus