DEGRADATION DES ZONES HUMIDES AU BÉNIN
« C’est un problème réel. Lorsque vous les dégradez, vous fermez le chemin à… », Pr Edia Flavien Dovonou
Les zones humides regorgent d’énormes potentialités tant sociales, environnementales que économiques, mais malheureusement au Bénin comme dans d’autres pays, elles sont mal gérées. Avec le Professeur Edia Flavien Dovonou, Spécialiste en Management Environnemental et Qualité des Eaux, votre journal aborde les causes et conséquences de la dégradation de ces zones ainsi que les alternatives à suivre pour les restaurer.
- Qu’est-ce qu’on peut comprendre par zones humides ?
Les zones humides sont des endroits de la terre qui contiennent de l’eau, soit de façon permanente ou de façon temporaire. Ce sont des régions pour la plupart du temps qui sont recouvertes de végétation, mais il y a aussi des zones humides qui sont dépourvues de végétation. L’un mis dans l’autre, ce sont des zones vraiment sensibles et les écosystèmes qui y abritent, tant la vie animale que la vie végétale, sont d’une grande importance pour la survie de l’humanité.
- Pouvez-vous nous parler des causes fondamentales de la dégradation des zones humides au Bénin ?
C’est un problème réel. Les zones humides que nous avons au Bénin sont fortement dégradées et polluées. Vous savez, dans les zones humides, vous avez les plans d’eau et les cours d’eau. Lorsque je prends le Lac Nokoue, le lac Ahémé, le lac Tohou etc., ce sont des plans d’eau. Ce sont des écosystèmes aquatiques dans lesquels vous avez beaucoup de ressources halieutiques et aussi de la végétation. Mais en dehors de ces plans d’eau, nous avons aussi les cours d’eau qui sont également les zones humides. Et quand vous regardez un peu le réseau hydrographique du Bénin, notre pays est fortement riche, mais malheureusement nous exploitons mal ce réseau hydrographique. Nous n’en tirons pas tous les profits qu’il faut. Et le pire, c’est que nous avons transformé la plupart de nos zones humides en dépotoir sauvage d’ordures. Aujourd’hui, quand vous regardez les beiges de nos plans d’eau, ils sont remplis de déchets solides et ces déchets solides sont au contact de l’eau. Du coup, il y a une pollution de l’eau. Et cette forme de pollution affecte la qualité des espèces halieutiques (les crabes, les poissons, les huitres, les crevettes). Ils sont contaminés par la pollution. Vous avez la pollution physico-chimique, la pollution minérale, la pollution organique et la pollution microbiologique. Donc nos zones humides sont fortement dégradées, sont polluées et dans 99% des cas, cette forme de pollution est une pollution anthropique, c’est l’homme qui est à la base.
Il n’y a pas que ça. Quand vous êtes à Cotonou, nous avons beaucoup de zones humides. Malheureusement, ces zones humides ont été morcelées et vendues. Alors que ces bas-fonds jouent de grands rôles contre les inondations. Quand vous avez des bas-fonds quelque part et il pleut, l’eau ruisselle pour aller dans les bas-fonds et c’est avec le temps que l’eau s’infiltre. Mais lorsque vous avez morcelé recaser les populations dans les bas-fonds, s’il pleut, l’eau ne sait plus où aller. Elle rentre dans les maisons, dans les rues et voilà une des causes des inondations.
- Quelles sont les conséquences majeures de la dégradation de ces zones humides ?
Alors, lorsque vous dégradez ou fermez les zones humides, vous fermez le chemin à l’eau. Et l’eau, une fois qu’elle ne trouve pas le chemin nécessaire pour s’écouler et ne peut pas s’infiltrer, est obligée de prendre d’assaut les maisons et les rues et on parle d’inondations. Ça c’est une première conséquence. Deuxièmement, lorsque vous mettez les déchets solides dans les zones humides et en réalité, vous ne rendez pas service à cet écosystème parce que ces déchets solides vont se décomposer et pour la plupart du temps, ces déchets solides contiennent des polluants ou des contaminants. Ces polluants rentrent dans l’organisme des poissons, des crabes, des crevettes, au point où lorsque vous consommez ces espèces halieutiques, vous vous intoxiquez et c’est là le danger. Le lac Nokoué dont je viens de parler sert de réserve en protéines animales pour le Sud Bénin et ce lac aujourd’hui, comme j’ai dit, tous ces beiges, que ce soit au niveau d’Abomey-Calavi, de Sô-Ava, de Cotonou, de Sèmè-Kpodji ou de Porto-Novo, sont jonchés d’ordures et de déchets entassés pendant des années. Mais ces déchets au contact de l’eau vont la polluer. Donc, c’est une pollution qui est là et qui a duré dans le temps. Une pollution qui affecte toutes les espèces halieutiques que nous avons dans cet environnement.
Un autre cas se trouve au niveau de la cité lacustre de Ganvié où les déchets solides ou liquides sont versés dans l’eau, sans oublier que cette eau sert d’habitat pour beaucoup d’espèces. Et tous ces éléments que nous envoyons dans l’eau entraînent des conséquences sur la vie et l’environnement. Cela crée des phénomènes que nous appelons l’eutrophisation. On parle d’eutrophisation lorsqu’il y a un apport excessif en nutriments, à savoir l’azote, le phosphore, le potassium dans un plan ou cours d’eau. Et cela amène à une multiplication exagérée des algues et des plantes aquatiques. Ces algues de ces plantes aquatiques après leur cycle meurent et se décomposent et lors de leur décomposition, utilisent l’oxygène de l’eau. Du coup, il y a un phénomène d’appauvrissement de l’oxygène de l’eau. Or voilà que les poissons ont besoin de cet oxygène pour pouvoir se multiplier, pour grandir, pour se développer et se reproduire. Donc c’est l’homme qui cause ce phénomène d’appauvrissement de l’oxygène que nous avons dans l’eau, et cela a des répercussions sur le développement de ces espèces halieutiques.
- Comment faut-il faire pour restaurer ces zones humides ?
Les bas-fonds, il faut les restaurer. C’est la meilleure formule pour pouvoir faciliter l’écoulement naturel de l’eau. L’eau va s’écouler pour aller vers les bas-fonds. Après va chercher à aller vers les lagunes. Après va chercher à aller vers les lacs, après va chercher à aller faire la mer. Mais lorsque vous occupez les voies naturelles de l’eau, vous créez vous même les inondations.
Alors, quand vous regardez bien les documentaires dans d’autres pays, surtout les pays européens et américains, vous verrez qu’il y a des plans d’eau qui sont aménagés en pleine ville. Aujourd’hui, au niveau du Rwanda, il y a un lac artificiel qui est créé en pleine ville. La même chose existe à Lomé, au Togo. Les zones humides, il faut les restaurer, il faut les aménager, il faut les valoriser. On peut construire des impacts sociaux autour de ces économies pour développer par exemple des aires des sports autour de ça et avoir des infrastructures autour de ces zones humides qui vont attirer. La nuit, ça donne vraiment une beauté. Cotonou a une superficie de 79 km² et au départ, ces 79 km² comportent 30% de bas-fonds. Malheureusement, nous avons fermé la plupart de ces bas-fonds. Le peu qui reste, il faut restaurer. Le cas qui m’intéresse et que je pense qu’on peut faire quelque chose, c’est le bas-fond de Fifadji qui a un parcours qui quitte Houéyiho, qui passe par Fifadji et Gbàdjromèdé et Aïdjèdo jusqu’à se jeter dans le lac Nohoué. Voilà un bas-fond, un cours d’eau qui traverse la ville de Cotonou et qui malheureusement aujourd’hui est remplie d’herbes sauvages. Il est temps qu’on drague ce cours d’eau. Quand on va le draguer, on va réduire les risques d’inondations dans la zone. Quand on va le draguer, on va pouvoir valoriser ces beiges et vous allez voir que la ville va changer de visage. Et je crois que c’est le rôle du maire de Cotonou de faire cet effort-là.
On peut draguer les lagunes côtières et faciliter la circulation. Les zones humides sont des zones où vous avez des espèces végétales spéciales qu’on appelle les mangroves et elles servent de frayère pour la reproduction des poissons. Un écosystème aquatique où vous avez beaucoup de mangrove, vous avez toutes les chances d’avoir beaucoup de poissons.
- Quel rôle peut jouer les populations dans cette restauration des zones humides ?
Les populations ne savent pas qu’elles sont en train de polluer. Pour ces populations, les zones humides sont là où il faut jeter les ordures dures ou déféquer. Il faut sensibiliser les populations, il faut les aider à comprendre que les zones humides, que les écosystèmes et les endroits où il y a la vie animale et végétale, ce sont des endroits qu’on peut valoriser. Donc, il faut vraiment fournir un effort de communication et de sensibilisation à l’endroit des riverains de ces zones humides afin qu’elles soient valorisées et attirent beaucoup plus de touristes.
- Un mot de fin
Les zones humides au Bénin, nous ne connaissons pas très bien leur importance. Les zones humides regorgent beaucoup de valeurs écosystémiques qu’on peut développer, qu’on peut promouvoir pour pouvoir s’enrichir. Il faut que quelque chose soit fait pour la protection des zones humides, pour leur sauvegarde et pour leur valorisation. Ce message va à l’endroit des populations et à l’endroit de nos autorités.
Propos recueillis et transcris par Jean-Baptiste HONTONNOU
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